- PROPHÉTISME
- PROPHÉTISMELe prophétisme manifeste à travers les siècles la croyance en une révélation et la permanence du type de connaissance obtenue par cette voie, soit sous la forme de l’annonce d’une révélation nouvelle qui donne naissance à une autre religion, à l’exemple de l’islam ou plus récemment du mormonisme; soit sous celle d’une réinterprétation d’une révélation ancienne ou existante, avec pour conséquence la plus fréquente l’apparition de sectes au sein, mais en marge des religions constituées; soit encore sous la forme de la rénovation d’une attitude ou d’une spiritualité tombée en désuétude, mais dans l’esprit de la religion existante, tel le prophétisme biblique par exemple. Le prophétisme atteste ainsi qu’une révélation reste la source vivante d’un comportement religieux, qu’elle ne saurait être définie une fois pour toutes dans le message originel, qu’elle participe du temps de l’histoire et qu’elle continue d’animer l’expérience humaine en général ainsi que l’expérience religieuse en particulier. Le prophétisme se rencontre toutefois le plus fréquemment dans les religions sotériologiques (qui attendent un sauveur ou le retour de ce sauveur), dans les religions salvatrices (qui enseignent les moyens du salut, même en l’absence d’un sauveur personnifié) et dans les religions eschatologiques (qui prédisent la fin de l’homme et du monde). Aussi constitue-t-il un élément essentiel de presque toutes les grandes religions de l’histoire. Comme tel, il affirme l’irréductibilité de l’aspiration religieuse et de la connaissance intuitive du surnaturel à la connaissance positive et scientifique. Sans doute est-il d’inspiration fondamentalement religieuse, mais, en raison du charisme que le prophète exerce sur ses disciples, il déborde souvent la sphère purement religieuse et se charge de significations politiques ou économiques, qui peuvent, le cas échéant, supplanter l’orientation primitive. Il arrive aussi que des philosophies, principalement les philosophies de l’histoire qui prétendent déterminer la fin présumée de l’humanité, prennent les apparences du prophétisme.1. L’essence du prophétismeSuivant l’acceptation qui semble prévaloir de nos jours, le prophète ne ferait que prédire ou annoncer l’avenir. En fait, ce sens n’est pas premier et il n’a pas toujours été historiquement le plus important. On entendait également par prophète l’interprète, inspiré ou non, des dieux, celui qui transmettait et expliquait leur volonté. Aussi, pour comprendre le prophétisme, faut-il tenir compte de cette double signification que l’on rencontre dans la littérature grecque aussi bien qu’ailleurs. D’une façon générale, on peut dire que le prophète est le porte-parole de la divinité, un intermédiaire ou médiateur entre Dieu et les hommes, dont le rôle est de révéler et de communiquer la parole divine; celle-ci peut consister aussi bien en un ordre qu’en un message doctrinal, une menace, une promesse ou une prédiction. Par essence, le prophétisme repose donc sur une élection, à savoir le choix par lequel la divinité investit un homme de la capacité de révéler le dessin surnaturel.Spécificité du prophétismeDans son sens plein, et en deçà des déformations et corruptions que la notion a pu subir au cours de l’histoire, le prophétisme se reconnaît à quatre caractéristiques principales.En premier lieu, il est à remarquer qu’on devient prophète non point par décision personnelle mais par obéissance à une volonté contraignante de nature transcendante, comme en témoignent la scène du buisson ardent dans l’histoire de Moïse, ou bien les plaintes de Jérémie, qui ne voulait plus parler afin d’échapper à l’opprobre et aux railleries mais reprit sa mission, «vaincu par Yaveh», ou encore la résistance de Mahomet, qui ne céda qu’après que l’ange Gabriel lui eut appliqué de force le visage sur le texte écrit en lui ordonnant de lire. D’ailleurs, le don de prophétie n’est pas accordé en permanence à l’élu. Ainsi, le mormon Cowdery retrouva et perdit le don de traduction; Barbara Heinemann, de la secte germano-américaine des inspirationnistes (première moitié du XIXe s.), perdit le don de prophétie en se mariant, mais le retrouva quelques années plus tard.Le prophétisme, en deuxième lieu, est une vocation purement personnelle. Selon Max Weber, il s’agirait même là de la caractéristique fondamentale. À quelques exceptions près, par exemple celle de l’aisymnète grec, le charisme est donné au prophète à titre individuel et exclusif, et non en tant qu’il est membre d’une organisation sacerdotale ou autre. Ainsi s’expliquent les oppositions entre les prêtres et les prophètes, ceux-ci fustigeant les pratiques formalistes des premiers. Le plus souvent d’ailleurs, les prophètes se recrutent parmi les laïcs. Peut-être la conjoncture sociale favorise-t-elle l’apparition des prophètes laïcs, mais il n’en reste pas moins vrai qu’ils ont le sentiment de se soumettre à une voix intérieure et non point de répondre à une sollicitation externe.Le prophétisme a pour troisième caractéristique d’être une forme d’aliénation, en ce sens que l’appelé se sent devenir un autre, comme s’il était possédé par celui au nom duquel il parle. Cette communion avec l’autre peut même prendre l’aspect d’une sorte de dédoublement de la personnalité. À la différence du fidèle, qui croit au surnaturel, le prophète a de celui-ci une expérience vécue; il est le témoin vivant de sa présence, surtout si, en plus, il possède le don de la thaumaturgie. La transformation qui s’opère en lui se manifeste le plus souvent par l’abandon de son ancien style de vie pour une aventure qui lui apparaît comme irrésistible. Fréquemment, cette aliénation s’exprime dans des termes empruntés au langage sexuel, ce qu’André Neher appelle le «symbolisme conjugal»: ainsi, on rencontre assez souvent dans la littérature prophétique les termes d’époux, de fiancé, d’amant, etc.; parfois même on attribue le don à une relation sexuelle; ainsi des prophétesses de l’île Bourou en Indonésie qui considèrent être devenues telles pour s’être accouplées avec un esprit chtonien.Enfin, le prophétisme implique que, si l’élection est personnelle, le message ne l’est pas: il s’adresse à une communauté déterminée ou même au genre humain. Aussi ne saurait-on séparer le prophète de la masse des fidèles qui entendent sa voix. Il en résulte souvent des tensions avec le pouvoir établi, en particulier lorsque le prophète apparaît comme le législateur d’un nouvel ordre, tels Moïse, Mahomet ou, de nos jours, certains prophètes des pays jadis opprimés. Du reste, il arrive fréquemment que le prophétisme passe du terrain religieux à celui de la politique, lorsque, par exemple, il se développe en mouvement millénariste, comme en Europe à l’époque médiévale ou du temps de la Renaissance et, actuellement, dans divers pays du Tiers Monde.Ainsi compris, le prophétisme est une manifestation religieuse typique qu’il faut distinguer, en dépit de certaines transitions et confusions possibles, de la mantique et du sacerdoce, celle-là surtout se rapprochant, par exemple la divination de la pythie, de l’art du sorcier en raison de certains procédés magiques communs. Certes, des formes de prophétisme ont existé qui n’étaient pas étrangères à la magie, par exemple dans la Mésopotamie d’autrefois, mais il s’agit là d’un aspect contingent. Le prophétisme se caractérise avant tout par le fait qu’il est au service d’une idée que l’élu propage à ses risques et périls, sans dédommagement et indépendamment des institutions, tandis que le plus souvent la fonction du devin est intégrée dans l’ensemble social, comme celle du sorcier dans les sociétés archaïques; il en est de même de celle du prêtre, qui est le serviteur rémunéré, sous une forme ou une autre, d’un culte. La figure du prophète, au contraire, évoque la spontanéité et la liberté de la parole, en dehors des normes communes. Aussi sa position est-elle fragile et vulnérable, sa seule sécurité résidant dans la force de sa parole ou éventuellement dans la détermination des fidèles à la protéger. Alors que le sacerdoce est lié à un statut et constitue une carrière (en tant que le prêtre est le fonctionnaire d’un culte), le prophétisme appartient à l’ordre de l’imprévisible. Il est intransmissible, puisqu’il repose sur l’élection charismatique. Aussi constitue-t-il une manifestation exceptionnelle, erratique et irrégulière dans le temps, qui échappe aux conventions, aux formalités et à l’ordre de succession. Le comportement du prophète est chaque fois original par le style et, le plus souvent aussi, par le contenu, mais le phénomène est éphémère puisqu’il s’éteint avec la mort de l’appelé. Une fois celui-ci disparu, sa doctrine devient prétexte à institutions, rites et cérémonies: elle devient pour les fidèles une régulation du quotidien.Rupture et continuitéDans la mesure où le prophétisme cherche à rendre manifeste une vérité jusqu’alors cachée ou altérée, ou à redresser et redonner vigueur à un comportement qui s’est perverti avec le temps, il ne prétend pas constituer un commencement absolu. En effet, même lorsqu’il donne naissance à une nouvelle religion, il se réfère explicitement ou implicitement à une révélation antérieure, soit pour la perfectionner, soit pour y faire des emprunts, soit pour s’y opposer. On rencontre à ce propos les modalités les plus diverses: Moïse se considérait comme l’envoyé du Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob; Jésus voulait accomplir l’ancienne loi au nom d’une nouvelle alliance; Buddha est à l’origine d’une véritable dissidence à l’égard de l’hindouisme classique; d’autres prophètes ont constitué des religions syncrétiques, comme l’orunmbaïsme au Nigeria, le mouvement koreri en Mélanésie ou le caodaïsme en Indochine; plus nombreux encore sont les prophètes fondateurs de sectes ou d’hérésies, telles que le çivaïsme ou le vishnouisme en Inde, le sh 稜‘isme ou le kharidjisme dans l’islam, les vaudois ou les shakers dans la sphère chrétienne; certains prophètes, enfin, imitent une religion existante, mais en inversant certaines orientations, comme dans les Églises africaines qui se proposent d’envoyer des missionnaires chez les Blancs ou inventent un Christ noir. L’innovation se présente donc comme une continuité, à cela près qu’elle prétend mettre fin à une dégradation ou à une carence de la révélation antérieure dont elle se réclame. En général, le processus se fonde sur un mythe originel, dont il s’agit de retrouver la pureté primitive, plus rarement sur une projection utopique dans l’avenir.Paradoxalement, c’est au nom de la continuité que le prophétisme introduit la rupture. Le prophète, en effet, entre inévitablement en conflit avec la religion traditionnelle et, s’il parvient à rassembler une masse importante de fidèles, avec l’ordre politique. S’il suscite au départ la méfiance, le développement du mouvement peut provoquer de véritables crises sociales qui s’accompagnent éventuellement de persécutions, et même d’interventions judiciaires et militaires. Le prosélytisme d’un mouvement atteint généralement sa plus grande virulence durant la vie du prophète et s’apaise après la mort de ce dernier, quand son message s’institutionnalise sous la forme d’une Église ou d’une secte, lesquelles peuvent à leur tour être secouées plus tard par un nouveau prophétisme, en quête de la vérité originelle perdue. Si le prophétisme provoque des troubles, c’est que le plus souvent il est, sociologiquement, le signe d’une crise latente dans la société. Ainsi s’expliquent les fréquentes collusions qu’il entretient avec la politique. Le conflit peut prendre des aspects très divers: d’abord, celui de la protestation, à l’exemple de Buddha, qui renie son enfance heureuse à la vue de la souffrance lors de ses quatre sorties pour se rendre sur son char au parc d’agrément. Il peut s’agir également d’une conduite d’évasion (escapisme) dans le cas d’une attente plus ou moins passive d’une épiphanie de caractère eschatologique (adventisme; pacifisme de Wovoka, l’initiateur de la danse de l’Esprit chez les Indiens; quête du «pays sans mal» chez les Tupi-Guarani du Brésil). Le prophétisme peut, enfin, se transformer en un mouvement de libération, tels la plupart des prophétismes du Tiers Monde, qu’ils soient anciens comme le mouvement des antoniens de la prophétesse Kimpa Vita au Congo durant la première moitié du XVIIIe siècle, ou récents comme les cultes du Cargo en Nouvelle-Guinée et les différentes Native Churches de l’Afrique du Sud, ou encore qu’ils soient des résurgences d’une ancienne religiosité populaire comme le saminisme de Java, le mahdisme du Soudan fondé sur les prophéties had 稜th, ou le peyotisme indien. Quoi qu’il en soit, l’idée du retour aux origines pour affirmer la continuité est aussi caractéristique du prophétisme en général que l’innovation qu’il introduit de manière à provoquer la rupture avec l’état de fait.2. Essai de typologieChaque prophète se présente d’ordinaire, consciemment ou non, comme une figure unique, incomparable, voire irremplaçable. Aussi n’accepte-t-il la concurrence (les autres ne peuvent être que de faux prophètes) que dans les rares cas du prophétisme institutionnalisé: tels, autrefois, les pythies ou les prophètes culturels (auprès de Cybèle et d’Attis en Phrygie, par exemple). Il est tout aussi rare que plusieurs prophètes conjuguent leurs efforts au service d’une même cause, comme firent Christian Metz et Barbara Heinemann de la secte des inspirationnistes. Plus fréquent est le cas de prophètes qui se succèdent, bien qu’ils soient contemporains, quand l’un d’eux a été mis dans l’impossibilité d’exercer son action, tels les deux prophètes du kimbanguisme au Congo, Kimbangu et Matsùa. Faut-il conclure à la vanité de toute typologie? Certes, il existe une grande diversité dans le prophétisme. À côté de formes nettement caractérisées, on rencontre un prophétisme diffus comme dans certaines sectes. Au cours d’assemblées de la communauté, l’Esprit peut inspirer prophétiquement de façon occasionnelle n’importe quel membre. Il est possible également de distinguer les prophètes auliques (attachés à la cour comme Neferrohu ou Ypouwer dans l’antique Égypte), les prophètes culturels (ceux qui sont attachés à un lieu de culte pour rendre des oracles, ou bien les sibylles et bakkides), les chresmologues ou prophètes populaires ambulants, les mystagogues qui exerçaient leur don prophétique au sein d’une confrérie d’initiés. On peut aussi distinguer la catégorie des prophètes sapientiaux, doctrinaux ou législateurs, dont la mission était de définir un nouvel ordre de lois et de règles de conduite; la catégorie des prophètes exaltés, hallucinés, frénétiques et orgiaques, qui ne s’exprimaient que dans les moments de transe, de délire ou de convulsions; et celle des prophètes extatiques et mystiques. On pourrait, enfin, faire une distinction entre les prophètes qui vaticinaient sous l’effet d’un stimulant extérieur (absorption de certaines plantes ou liquides, omophagie) et ceux qui obéissent uniquement à une voix intérieure. Du point de vue sociologique, la classification la plus pertinente semble être celle qui distingue, dans le prophétisme, une forme visionnaire et une forme missionnaire.Le prophétisme visionnaireIl existe d’abord ce qu’on pourrait appeler le prophétisme du dire, essentiellement orienté vers l’interprétation du gouvernement divin du monde. La parole sert alors à expliquer la vision et à la transmettre aux fidèles, sans que soit visée aucune action immédiate. Tel est le prophétisme de la révélation au sens authentiquement et exclusivement religieux du terme. Pour employer le vocabulaire de Rudolf Otto, on pourrait dire que le numineux se propose avant tout d’être du lumineux. Quel que soit le moyen par lequel la lumière est obtenue, excitants extérieurs, ascèse ou contemplation, le prophétisme de ce type cherche en premier lieu à expliquer et à enseigner pour aider les fidèles à réformer leur conduite dans le sens d’un approfondissement spirituel. Le prophète se considère comme l’instrument direct, peut-être imprévu, de la communication entre Dieu et les hommes afin de fortifier leur espérance hésitante face à l’obscurité des voies divines. Ce prophétisme n’exclut pas a priori la prévision, mais celle-ci n’est pas destinée à servir de prétexte à une action collective par-delà l’unité de la communauté des fidèles ou croyants. Sans doute peut-il donner naissance à des perturbations sociales, comme l’«Évangile éternel» de Joachim de Flore, qui, au Moyen Âge, opposa, dans la descendance franciscaine, les spirituels et les conventuels. Mais l’agitation n’est ni son but premier ni même son but fondamental; elle ne saurait être qu’une conséquence contingente. Appartiennent à ce type les deux formes de prophétisme que Max Weber appelle l’une le prophétisme éthique, représenté en particulier par Zarathoustra, dont l’objet est d’instaurer une vie nouvelle conforme à la volonté de Dieu, l’autre le prophétisme exemplaire, tel celui de Buddha qui, au nom d’une religion du salut mais sans Dieu, devient par sa vie édifiante un modèle à suivre. On pourrait y ajouter le prophétisme apocalyptique et eschatologique, qui attend le salut définitif comme devant venir après une période plus ou moins longue de catastrophes et de ravages perpétrés par l’Antéchrist. De la longue liste de ces annonciateurs de la parousie, il convient de citer Commodianus, le Pseudo-Methodius, qui ont nourri les prophéties du Moyen Âge jusqu’à l’époque de la Réforme.Le prophétisme missionnaireSous sa forme missionnaire, le prophétisme s’attache au prédire, en ce sens qu’il annonce ou prétend dévoiler l’avenir. Il prend alors souvent, mais non toujours, un aspect politico-religieux, dans la mesure où la parole essaie de peser sur les événements sociaux. Il est davantage le fait de l’inspiré qui indique la voie à suivre à partir du but qu’il propose que de l’élu qui se borne à expliquer ou à éclairer. Ce prophétisme de combat devient parfois une véritable arme, quand il réussit à communiquer aux fidèles un enthousiasme agressif, voire belliqueux. Ainsi, la vocation individuelle s’inscrit dans une mission collective qui peut être d’ordre simplement législatif, mais peut prendre également l’aspect d’une action guerrière (croisade, guerre sainte). Il n’est pas rare non plus que ce prophétisme se dégrade dans des actes de violence terroriste; ainsi en est-il lorsque la promesse religieuse du salut se confond avec celle d’une émancipation politique ou économique, c’est-à-dire lorsque, en raison des revendications sociales qui sont formulées, le but temporel prend le pas sur la fin religieuse. La situation économique et sociale contribue souvent à radicaliser le mouvement, les fidèles y trouvant un intérêt immédiat, comme dans le cas de l’opposition aux collecteurs d’impôt. On comprend qu’un tel prophétisme ait pu facilement s’intégrer aux mouvements révolutionnaires modernes. Ce type peut se subdiviser en prophétisme législatif, en prophétisme millénariste ou en prophétisme messianique. Moïse est une figure représentative du premier, lequel est presque tombé aujourd’hui en désuétude. Le deuxième a connu sa grande période en Europe durant le Moyen Âge, se manifestant, il est vrai, sous une forme populaire et diffuse plutôt que par l’apparition de personnalités marquantes telles que Joachim de Flore (ou, plus tard, à l’époque de la Réforme, Thomas Münzer et divers chefs de l’anabaptisme rhénan). Il a retrouvé une nouvelle vigueur dans les pays du Tiers Monde, où certains prophètes, tel Ndugumoi aux îles Fidji, fixèrent même, comme autrefois Joachim de Flore, la date précise de l’avènement de la nouvelle ère. Le prophétisme messianique eut également de solides racines populaires au Moyen Âge, en raison des croyances à l’Antéchrist et de l’hostilité latente au clergé qui animaient l’opinion. D’ailleurs, il se confondait parfois avec le millénarisme; ainsi, certains prophètes, comme les frères Janko et Livin de Wirsberg, annonçaient que le nouveau sauveur inaugurerait le troisième et dernier âge. L’attente du sauveur se traduisait de façon diverse dans la légende de l’empereur Frédéric II, dans les prédictions du tambourin de Niklashausen ou, plus tard, dans le communisme des Diggers de Winstanley. Dans le Tiers Monde, il est fréquent que certains prophètes se prennent eux-mêmes pour le Messie ou du moins s’identifient à la divinité, tels le prophète Téau de la secte des Mamaia (îles de la Société) ou encore Shembé, le prophète des nazaristes d’Afrique du Sud.3. Le prophétisme séculariséL’expression de prophétisme sécularisé ne désigne pas les anticipations des futurologues ni les pronostics incertains d’écrivains tels qu’Oswald Spengler. Si l’on qualifie souvent les uns et les autres de prophètes, ce n’est que selon une acception corrompue et équivoque. Mais il reste à caractériser les espoirs eschatologiques informels qui agitèrent les masses influencées par les idéologies et les rêveries utopiques. L’idée révolutionnaire a récupéré le prophétisme en le sécularisant, sinon en le désacralisant, au moment même où l’on assistait à un déclin de la ferveur religieuse. Cette transposition s’est opérée principalement sous l’action des philosophies de l’histoire qui, sur la base d’un déterminisme pseudo-scientifique, prétendaient pouvoir définir l’orientation inévitable de la société future. Sans doute, certains traits du prophétisme classique s’effaçaient-ils, telles les idées de transcendance et de vocation individuelle, mais la plupart des autres subsistaient; charisme du chef (culte de la personnalité); dévotion des fidèles ou partisans dans l’attente de la nouvelle ère promise; insistance sur des fins eschatologiques d’une égalité effective, d’une justice réalisée ou d’un bonheur assuré; escapisme, ou évasion dans l’utopie de la société nouvelle; aliénation de l’autonomie personnelle et du jugement critique par soumission inconditionnelle au mouvement ou au parti, porteur de l’espérance. Max Weber insistait sur les rapports entre le style d’un certain prophétisme et la démagogie. En ce qui concerne les idéologues totalitaires, il faudrait parler plutôt d’affinité.Cette permanence du prophétisme, même en l’absence de toute révélation, répond toujours au même sentiment: la peur et, surtout de nos jours, l’angoisse devant l’avenir. Le prophétisme a un effet sécurisant.⇒PROPHÉTISME, subst. masc.A. —1. RELIG. Ensemble des faits historiques, des idées relatives aux prophètes et aux prédictions des prophètes. Prophétisme égyptien; prophétisme biblique, chamanique, hébreu, messianique. La spécificité du prophétisme israélite repose sur le caractère propre des relations entre Yahvé et Israël telles qu'elles ont été vécues au cours de l'histoire (Encyclop. univ. t.13 1972, p.645). L'Ancien Testament lui-même admet l'existence d'un prophétisme non israélite, ce que confirme l'étude du Proche-Orient ancien (Encyclop. univ. t.13 1972, p.646):• ♦ Le prophétisme manifeste à travers les siècles la croyance en une révélation (...) le prophétisme se rencontre (...) le plus fréquemment dans les religions sotériologiques (...), dans les religions salvatrices (...) et dans les religions eschatologiques (...). Aussi constitue-t-il un élément essentiel de presque toutes les grandes religions de l'histoire.Encyclop. univ. t.13 1972, p.647.2. Don de faire des prophéties. Par essence, le prophétisme repose donc sur une élection, à savoir le choix par lequel la divinité investit un homme de la capacité de révéler le dessein surnaturel (Encyclop. univ. t.13 1972, p.648).B. —P. ext. ,,Tendance au comportement de ceux qui, se fondant sur des vues a priori bien plus que sur des données de fait, annoncent un avenir plus ou moins éloigné`` (FOULQ. Sc. soc. 1978). Prophétisme marxiste. Les beaux esprits auxquels le prophétisme de Joseph de Maistre donne des nausées, et qui nous soutiennent gravement que l'animal humain a donné depuis longtemps la mesure de sa méchanceté, se préparent à d'étranges surprises (BERNANOS, Gde peur, 1931, p.453).Prononc.:[
]. Étymol. et Hist.1. 1823 «état, système d'idées d'un prophète» (BOISTE); 2. 1875 «système religieux fondé sur les prédictions des prophètes» (Lar. 19e). Dér. de prophète; suff. -isme; cf. déjà le lat. médiév. prophetismus «prophétie» (IXes. ds BLAISE Latin. Med. Aev., NIERM.).
prophétisme [pʀɔfetism] n. m.ÉTYM. 1823, Boiste; de prophète, et -isme.❖♦ Didactique.1 Ensemble des prédictions prophétiques ou des faits relatifs aux prophètes considérés systématiquement. || Le prophétisme biblique.♦ Par ext. (sens général, plus cour.). Ensemble des prédictions qui se veulent prophétiques.0 (…) la prévision en politique exprime souvent soit un prophétisme déguisé, soit une forme indirecte de la suggestion et de la propagande.Gaston Bouthoul, Sociologie de la politique, p. 9.2 Don de faire des prophéties. || « Le prophétisme était fréquent et considéré comme un don analogue à celui des langues » (Renan).3 Activité et fonction des prophètes, de prédiction de l'avenir (dans une société). || Etudier le prophétisme chamanique, africain.
Encyclopédie Universelle. 2012.